CHAPITRE HUIT

Un autre palais moderne, l’Opéra, où se pressaient des femmes couvertes de bijoux, vêtues de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, tandis que les accompagnaient des hommes élégants en fracs noirs ou blancs.

Elle observa la foule qui se dirigeait vers le grand escalier. Elle sentit des regards d’admiration se poser sur elle.

Alex la contemplait avec fierté et affection. « Vous êtes la reine ici. » Le rouge lui montait aux joues comme il susurrait ce compliment. Il se tourna vers l’un des colporteurs qui proposaient de curieux petits instruments dont elle ne parvenait pas à définir l’utilité.

« Des jumelles, dit-il en lui tendant une paire. Et aussi le programme, oui.

— Mais qu’est-ce que c’est ? » demanda-t-elle.

Il eut un petit rire d’étonnement. « Vous êtes tombée du ciel, dirait-on ! » Il déposa un baiser dans son cou. « Portez-les à vos yeux et tournez la molette. Là, vous voyez ? »

Elle sursauta en découvrant les gens du balcon aussi près d’elle.

« Quelle chose curieuse ! Quel est le procédé ?

— On appelle cela le grossissement, dit-il. Il y a une lentille de verre. » Il semblait enchanté qu’elle n’eût jamais entendu parler de cela ! Elle se demanda comment Ramsès avait maîtrisé tous ces petits secrets ; Ramsès, dont la « tombe mystérieuse » avait été découverte quelques semaines auparavant par « ce pauvre Lawrence », qui était aujourd’hui décédé. Ramsès, qui parlait dans les « papyrus » de son amour pour Cléopâtre. Était-il vraiment possible qu’Alex ne sût pas que la momie et Ramsey ne faisaient qu’un ?

Mais aussi comment accepter semblable vérité ? Avait-elle cru le vieux prêtre quand il l’avait entraînée dans les couloirs et les souterrains ?

Une sonnerie retentit. « L’opéra va commencer. »

Ils montèrent l’escalier. Il lui semblait qu’une lumière très vive les entourait et les mettait à l’écart des autres, tout en les désignant à leurs regards. L’amour. Oui, elle l’aimait. Ce n’était pas d’un amour sauvage, certes, comme celui qu’elle avait éprouvé pour Antoine, un amour sauvage et destructeur.

Non, c’était un amour très frais et très doux, à l’image même d’Alex. Julie Stratford avait été folle de ne pas l’aimer. Et elle avait cédé à Ramsès, lui qui eût pu séduire Isis en personne.

Ramsès, le juge, le père, le maître. Antoine, le mauvais garçon avec qui elle s’était enfuie. Ils avaient joué dans la chambre royale comme des enfants, ils s’étaient enivrés et conduits comme des fous. Ils n’avaient répondu à l’appel de personne. Jusqu’à ce que Ramsès fût apparu après toutes ces années.

Voilà donc ce que tu as fait de ta liberté ? De ta vie ?

Qu’allait-elle faire de sa liberté à présent ? Pourquoi la douleur ne l’accablait-elle pas ? Parce que ce monde nouveau était trop magnifique. Parce qu’elle avait ce dont elle avait rêvé au cours des derniers mois où les armées de Rome avaient submergé l’Égypte, en ce temps où Antoine avait cédé au désespoir et perdu toutes ses illusions : une autre chance. Une autre chance, sans le poids de cet amour qui l’entraînait dans les ténèbres ; une autre chance sans qu’elle éprouvât de haine pour Ramsès, qui n’avait pas voulu sauver son amant condamné et qui ne lui pardonnerait jamais de s’être elle-même damnée…

« Votre Altesse, je vous perds à nouveau, dit-il doucement.

— Non, je suis avec vous, seigneur Alex. »

Les lustres de cristal brillaient de mille arcs-en-ciel ; elle entendait le doux tintement du verre sous l’effet de l’air qui pénétrait par les portes grandes ouvertes.

« Regardez, les voilà ! » dit Alex en montrant le haut des marches.

Le tumulte de l’opéra cessa instantanément ; les lumières, la foule, tout disparut. Ramsès était là !

Ramsès, en costume moderne, et à côté de lui, cette femme d’une étonnante beauté, jeune et fragile comme Alex, avec ses cheveux auburn délicieusement tirés en arrière. Elle regarda dans leur direction, mais ne les vit pas. Et le seigneur Rutherford, appuyé sur sa canne d’argent. Ramsès, cette force de la nature qui respirait l’immortalité, parvenait-il vraiment à abuser les mortels qui l’entouraient ?

« Mon chéri, pas maintenant », dit-elle à Alex.

Déjà la foule les engloutissait.

« Mais, voyons, il faut leur faire savoir que nous sommes ici. C’est merveilleux, non ? Ramsey a été innocenté. Tout est redevenu normal. Pitfield a fait des miracles.

— Accordez-moi cet instant, Alex, je vous en supplie ! »

Y avait-il quelque chose d’impérieux dans le ton de sa voix ?

« Très bien, Votre Altesse », dit-il avec un sourire.

Arrivée en haut de l’escalier, elle les chercha à nouveau du regard, mais ils avaient franchi une porte drapée de velours. Alex l’entraînait dans une autre direction.

« Eh bien, il semble que nous soyons de l’autre côté de la corbeille, fit-il avec un sourire. Comment pouvez-vous être si timide alors que vous êtes si adorable ? Alors que vous êtes plus belle que toutes les femmes que j’ai pu admirer ?

— Je suis jalouse de vous, des heures que nous avons passées ensemble. Croyez-moi, le monde causera notre perte, seigneur Alex.

— Ah, ce n’est pas possible », répondit-il avec une totale innocence.

 

Elliott se tenait près de la porte. « Où diable Alex peut-il être passé ? Comment peut-il disparaître à un moment aussi important ? C’est incroyable !

— Elliott, Alex est le cadet de nos soucis, lui dit Julie. Il s’est probablement trouvé une nouvelle héritière américaine. Le troisième amour de sa vie en moins d’une semaine ! »

Elliott eut un sourire amer, puis ils entrèrent dans la loge. Il repensa à la femme qu’il avait aperçue dans la voiture.

 

Une galerie de forme incurvée ; un amphithéâtre géant, couvert et n’occupant que la moitié d’un ovale. Le fond était occupé par la scène, assurément, que dissimulait un chatoiement de rideaux ; et juste devant, dans une sorte de fosse, un rassemblement d’hommes et de femmes qui tiraient des sons atroces de leurs instruments. Elle se boucha les oreilles.

Elle ne parvenait pas à détacher les yeux de Ramsès et de sa compagne. Fascinée par ce qu’elle voyait, elle ne comprenait pas le trouble qui l’habitait. Puis Ramsès posa la main sur l’épaule de la jeune femme. Il l’enlaça, comme pour la réconforter, et la femme ferma les yeux. Ramsès l’embrassa et elle lui rendit son baiser !

La douleur qu’elle éprouvait était des plus vives. On eût dit qu’un couteau lui avait balafré le visage, entaillé la gorge ! Elle tourna la tête vers la partie obscure de la salle.

Elle se serait mise à pleurer si cela lui avait été possible. Mais que ressentait-elle au juste ? De la haine, oui. Une haine énorme pour cette femme montait en elle et l’incendiait de l’intérieur. Donne l’élixir à Antoine.

Soudain le grand théâtre s’obscurcit. Un homme se présenta devant les spectateurs. Des applaudissements s’élevèrent, assourdissants.

L’homme s’inclina, leva les mains et fit face aux musiciens redevenus silencieux. À son signal, ils se mirent à jouer et la musique éclata, immense et splendide.

Elle se sentit touchée au plus profond d’elle-même. La main d’Alex se posa sur la sienne. Les sons qui l’enveloppaient balayaient sa douleur.

« Les temps modernes », murmura-t-elle. Pleurait-elle, elle aussi ? Elle ne voulait plus haïr ! Elle ne voulait plus souffrir ! En souvenir, elle revit Ramsès debout dans l’obscurité. S’agissait-il d’un tombeau ? Elle sentit l’élixir versé dans sa bouche. Et puis il s’éloignait d’elle, épouvanté. Ramsès. Regrettait-elle qu’il se fût comporté de la sorte ? Pouvait-elle vraiment le maudire pour cela ?

Elle était vivante !

 

Elliott ressortit dans le foyer pour lire le message qu’on venait de lui apporter.

« Cela vient de la réception du Shepheard’s, monsieur », dit le groom. Elliott fouilla dans sa poche à la recherche d’une pièce de monnaie.

 

Père, je vous verrai à l’opéra ou au cours du bal.

Pardon d’être aussi mystérieux, mais j’ai rencontré la femme la plus envoûtante qui soit. Alex.

 

C’était exaspérant, mais qu’y pouvait-il ? Il regagna sa loge.

 

Ramsès n’avait pas imaginé qu’il pourrait prendre plaisir à ce spectacle. Il était furieux contre Elliott qui l’avait entraîné à l’opéra contre son gré. Le spectacle eût pu être grotesque, mais il était en fait sublime. La beauté des mélodies faisait oublier les chanteurs obèses costumés en « Égyptiens » et s’exprimant en italien, les statues en carton, les décors peints. Julie s’appuyait contre son épaule. Les voix magnifiques la touchaient et apaisaient ses souffrances. Ces instants n’avaient pas le côté épouvantable que Ramsès leur avait prêté ; il en vint même à imaginer que Cléopâtre avait fui Le Caire ou qu’elle s’était perdue au cœur de la ville moderne. Il ne la retrouverait plus jamais. Cette pensée l’apaisait, mais elle le terrifiait aussi ; quelle serait la solitude de cette femme au fil des semaines et des mois ? Quelles seraient les exigences de sa fureur ?

 

Elle porta à ses yeux les verres magiques. Elle regarda Ramsès et Julie, étonnée par la netteté de ce qu’elle voyait. La femme pleurait, elle ne pouvait en douter. Son regard sombre était rivé à la scène, où un petit homme assez laid chantait l’admirable « Céleste Aïda » d’une voix à briser le cœur.

Elle allait reposer les jumelles quand Julie Stratford dit quelque chose à son compagnon. Ils se levèrent et Julie disparut derrière le rideau. Ramsès la suivit.

Cléopâtre toucha la main d’Alex.

« Restez là », lui dit-elle.

Il trouva cela normal et n’essaya pas de la retenir.

Elle sortit dans le foyer pratiquement vide. Quelques vieillards, d’apparence misérable dans leurs habits de soirée, trompaient leur ennui en buvant de l’alcool.

Julie et Ramsès parlaient à voix basse. Elle les observa à l’aide de ses jumelles. Leur conversation paraissait revêtir une importance capitale. Soudain Julie s’éloigna en serrant sa pochette contre sa poitrine.

Cléopâtre n’hésita pas un seul instant. Elle la suivit en faisant des vœux pour que Ramsès ne levât pas les yeux à cet instant.

Julie Stratford franchit une porte marquée DAMES. S’agissait-il d’un boudoir privé, d’un endroit réservé dont le sens lui échappait ?

Elle ne savait trop que faire. Elle sursauta quand un jeune employé de l’opéra lui demanda si elle cherchait les toilettes. Elle savait ce que cela signifiait. Elle hocha la tête et entra à la suite de Julie.

 

Dieu merci, les toilettes des dames étaient désertes. Julie était assise sur un tabouret de velours devant une grande coiffeuse. Elle avait la tête dans les mains, elle semblait accablée.

Elle repensait aux paroles qu’elle venait de dire à Ramsès : « Je regrette d’avoir posé les yeux sur toi. Tu aurais dû laisser Henry accomplir sa sale besogne ! »

Le pensait-elle vraiment ? Il lui avait tordu le poignet et, maintenant, elle pleurait doucement.

« Julie, lui avait-il expliqué, j’ai commis un acte terrible, oui. Mais c’est de toi et de moi que je parle à présent. Tu es vivante, tu es merveilleuse, ton corps et ton âme sont en harmonie…

— Ne dis plus rien !

— Bois l’élixir et suis-moi à tout jamais. »

Seule dans les toilettes, elle essayait de réfléchir, mais n’y parvenait pas. Elle se disait que, dans plusieurs années, elle repenserait à tout cela comme à un épisode étrange de sa vie, une aventure étonnante dont elle ne parlerait qu’à quelques intimes. Elle leur confesserait qu’un homme mystérieux était entré dans sa vie… Ah, c’était insupportable !

La porte des toilettes s’ouvrit. La tête baissée, elle se tamponnait les yeux et cherchait à reprendre son souffle. Quelle honte d’être vue dans un tel état ! Et cette femme aux longs cheveux bruns qui venait d’entrer, pourquoi choisissait-elle un tabouret aussi proche du sien ?

Sans le vouloir, elle vit l’image que lui renvoyait le miroir. Était-elle en train de perdre l’esprit ? La femme assise juste à côté d’elle posait sur elle de grands yeux bleus à vous glacer le sang !

Elle se tourna lentement vers la femme et se crispa sur son siège.

« Mon Dieu ! » Elle tremblait si violemment qu’elle dut plaquer la main sur le miroir pour conserver son équilibre.

« Mais oui, vous êtes adorable, dit la femme avec un accent britannique parfait. Mais il ne vous a pas donné son précieux élixir. Vous êtes mortelle, cela ne fait aucun doute !

— Qui êtes-vous ? » s’écria-t-elle. Mais, déjà, elle savait !

Le visage de la femme était impressionnant, sa chevelure ondulée semblait engloutir la lumière. « Pourquoi m’a-t-il tirée de mon sommeil ? Pourquoi a-t-il refusé de vous donner sa potion magique ?

— Laissez-moi tranquille », balbutia Julie. De violents frissons la parcouraient. Elle tenta de gagner la porte, mais la femme l’accula dans un coin de la pièce. Elle poussa un cri de panique.

« Quoi qu’il en soit, vous êtes vivante, murmura la femme. Jeune, délicate, pareille à une fleur. Toute prête à être cueillie. »

Julie se plaqua au miroir mural. En se jetant sur cette femme, pourrait-elle la faire tomber à la renverse ? Cela lui semblait impossible. La tête se mit à lui tourner et elle crut qu’elle allait s’évanouir.

« Cela paraît monstrueux, n’est-ce pas ? poursuivit la femme avec son accent raffiné. Que je puisse cueillir cette fleur parce que l’on a laissé mourir l’objet de mon amour. Quel rapport y a-t-il entre vous et ce que j’ai éprouvé il y a si longtemps ? Julie Stratford et Antoine… Cela semble d’une telle injustice.

— Oh ! mon Dieu ! implorait Julie. Je vous en prie, laissez-moi ! »

La main de la femme se tendit vers elle et se referma sur sa gorge. Les doigts se serrèrent, sa tête heurta le miroir, elle ne pouvait plus respirer, elle se sentait partir…

« Pourquoi ne vous tuerais-je pas ? Dites-le-moi ! » susurrait-elle à son oreille.

La main la lâcha brusquement. Le souffle court, elle s’écroula sur la coiffeuse.

« Ramsès ! hurla-t-elle dans un suprême effort. Ramsès ! »

La porte des toilettes s’ouvrit et deux femmes apparurent. Cléopâtre s’élança entre elles et les bouscula avant de disparaître dans un chatoiement argenté.

Julie sanglotait, à genoux.

Des gens qui criaient, des pas précipités. Une vieille dame aux mains ridées l’aidait à se relever.

« Il me faut retrouver Ramsès », dit-elle. Elle se dirigea vers la porte, mais les autres femmes voulaient l’en empêcher, la faire asseoir, lui donner un verre d’eau.

« Non, laissez-moi ! »

Elle parvint à franchir la porte et un petit groupe de personnes attirées par les cris. Ramsès se précipitait vers elle. Elle s’effondra dans ses bras.

« Elle était là, lui dit-elle d’une voix brisée par l’émotion. Elle m’a parlé. Elle m’a touchée. » Elle montra sa gorge douloureuse. Si ces deux femmes n’étaient pas entrées…

— Qu’y a-t-il, mademoiselle ?

— Mademoiselle Stratford, que s’est-il passé ?

— Ça va mieux maintenant, laissez-moi, merci. »

Il l’entraîna loin des autres.

« Oui, j’ai vu la femme qui était avec elle, une grande femme brune, aux cheveux défaits…»

Il la ramena dans la loge, véritable havre de paix. Julie ouvrit grands les yeux et regarda autour d’elle. Elliott et Samir étaient là. La musique emplissait la salle. Samir lui présentait une coupe de champagne.

« Elle est ici, à l’opéra… Mon Dieu, elle ressemblait à un ange de mort ! Une déesse ! Ramsès, elle me connaissait, elle savait qui j’étais. Elle a parlé de vengeance, de son amour pour Antoine ! »

Le visage de Ramsès était pareil à un masque de rage. Il se tourna vers la porte. Elle voulut le retenir et renversa le champagne. « Non, ne pars pas ! Reste à mes côtés ! murmura-t-elle. Elle aurait pu me tuer. Elle le voulait. Et puis elle s’y est refusée. C’est une créature vivante, un être qui éprouve des sentiments ! Oh, mon Dieu, qu’est-ce que tu as fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ? »

 

Le tintement d’une cloche. Les spectateurs quittaient leurs places. Alex allait la rechercher. Et peut-être trouverait-il ses compagnons.

Elle n’avait pas la force de bouger.

Elle se tenait sur un balcon métallique ; un escalier de fer très étroit conduisait à une ruelle sombre et mal entretenue. Sur sa droite, une porte donnait sur la lumière et le tohu-bohu. La ville semblait plongée dans un brouillard d’où émergeaient des dômes étincelants. D’où elle se trouvait, elle ne pouvait voir le Nil, mais cela n’avait pas d’importance. L’air était frais et parfumé, empli de la senteur des arbustes.

Elle entendit sa voix.

« Votre Altesse, je vous cherchais partout.

— Prenez-moi dans vos bras, Alex, lui dit-elle. Serrez-moi contre vous. »

Elle sentit ses mains chaudes se poser sur son corps. Il la fit asseoir sur les marches.

« Vous êtes malade, dit-il. Je vais aller vous chercher un cordial.

— Non, restez près de moi. » Elle savait que sa voix était à peine audible. Il y avait un désespoir certain dans le regard qu’elle portait sur les lumières de la ville. Elle voulait s’accrocher à cette vision de la cité moderne afin d’oublier l’angoisse qui l’étreignait. Il n’y avait que cela qui lui fit du bien, cela et le jeune homme innocent qui l’étreignait et l’embrassait.

« Je ne sais pas si c’est du chagrin que j’éprouve ou de la colère, chuchota-t-elle en latin. Mais je sais seulement que je souffre. »

Elle le torturait malgré elle. Avait-il compris ses mots ?

« Ouvrez-moi votre cœur, dit-il avec franchise. Je vous aime, Votre Altesse. Dites-moi ce qui vous perturbe. Je ne permettrai à personne de vous faire du mal.

— Je vous crois, jeune seigneur. Moi aussi, j’ai de l’amour pour vous. »

Mais était-ce bien là ce qu’elle voulait ? La vengeance ferait-elle taire la fureur qui bouillonnait en elle ? Ou allait-elle battre en retraite et s’en aller au bout du monde avec son jeune amoureux ? Il lui sembla un moment que ses souffrances allaient tout consumer – ses pensées, ses espoirs, ses désirs. Et puis elle comprit que c’était exactement comme le soleil…

Aimer et haïr aussi farouchement, c’était l’essence de la vie même. Cette vie dont elle jouissait à nouveau, avec son cortège de bénédictions et de douleurs.

 

Le dernier acte allait s’achever. Elliott contemplait la scène d’un air sombre. Les amants tragiques étaient prisonniers de la crypte du temple de Vulcain tandis qu’Amnéris prenait part à la cérémonie funèbre.

Dieu merci, c’était presque fini ! Bien qu’au sommet de son art, Verdi paraissait presque grotesque vu les circonstances. Quant au bal, ils n’y passeraient que quelques instants avant de ramener Julie à sa chambre.

La jeune femme était au bord de l’évanouissement. Toute tremblante, elle s’agrippait à Ramsès.

Elle avait refusé de le laisser partir, de sorte qu’Elliott et Samir s’étaient vus contraints de chercher parmi la foule au cours des entractes. Elliott était le seul à pouvoir la reconnaître, mais ses cheveux en cascade et sa tenue argentée n’auraient certainement pas échappé à Samir.

Elle était introuvable. Cela n’avait rien d’étonnant. Elle avait dû quitter l’opéra après son agression contre Julie. Mais le mystère demeurait : comment était-elle au courant pour Julie ? Comment avait-elle fait pour l’identifier ?

On ne savait pas non plus où se trouvait Alex. C’était, d’une certaine façon, un bien pour un mal. Alex était miraculeusement épargné par ce qui se passait. Ah, s’il pouvait rentrer au pays sans demander d’explications ! Mais peut-être était-ce là trop demander.

Cela ne faisait plus aucun doute dans l’esprit d’Elliott, Julie prendrait le lendemain midi le train avec Alex. Lui-même resterait au Caire en attendant que tout fût fini. Samir accompagnerait Julie à Londres et vivrait à ses côtés, à Mayfair, en attendant le retour de Ramsès, c’était décidé. Ignorant de ce qui se passait, Alex était bien incapable de la protéger ou de la réconforter.

Le duo final était extrêmement poignant. Mais Elliott n’en pouvait plus. Il prit ses jumelles et entreprit d’observer le public. Alex, où te dissimules-tu ?

Des têtes grises ou chenues ; des hommes qui somnolaient ; des dames respectables qui haletaient. Et une jeune femme splendide assise au premier rang d’une loge, la main dans celle d’Alex.

Il sursauta.

Il tourna doucement la molette des jumelles. Son cœur battit à tout rompre. Ce n’était pourtant pas le moment de défaillir ! Très distinctement, il vit Alex se tourner vers la femme et l’embrasser sur la joue tandis qu’elle regardait éperdument la crypte où chantaient les amants condamnés.

« Ramsey…»

Quelques spectateurs se retournèrent pour le faire taire.

« Ramsey », répéta-t-il à voix basse. L’autre quitta son siège et s’agenouilla auprès de lui. « Là, regardez ! Elle est avec Alex ! »

Il tendit les jumelles à Ramsey, mais ce dernier n’en eut pas besoin pour voir que Cléopâtre avait pris ses propres jumelles et les observait !

Les dernières notes du duo retentirent, puis les applaudissements crépitèrent, accompagnés de cris et de bravos. La salle se rallumait. Les spectateurs se levaient.

« Que se passe-t-il ? demanda Julie.

— Ils vont s’en aller, dit Ramsès. Je les suis !

— Non ! s’écria Julie.

— Elle est avec Alex Savarell, dit Ramsey. Elle a ensorcelé le fils du comte ! Samir, Lord Rutherford, je vous en prie, ne quittez pas Julie ! Raccompagnez-la à l’hôtel ! »

 

Leur loge était vide quand il y arriva. Ils avaient disparu. Il y avait au moins trois issues de secours à l’opéra, sans compter les portes principales. Il n’avait plus la moindre chance de les trouver.

Il attendait devant l’imposante bâtisse quand Julie en sortit au bras de Samir. Elliott était blanc comme un linge, il était clair qu’il faisait appel à ses dernières forces.

« C’est inutile, dit Ramsès. Nous les avons perdus.

— Il reste encore le bal, dit Elliott. C’est un jeu, vous le savez bien ! Alex ignore absolument tout de ce qui se passe. Il a dit qu’il nous retrouverait à l’opéra ou au bal. »

 

La Momie
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